Il y a des mots anglais qu'on aurait préféré ne jamais connaitre...
La journée du samedi 12 Mars s'est déroulée presque normalement. Nous avons essayé de faire abstraction de tout pour nous concentrer sur le quotidien. Je crois que nous ne mesurions pas encore ce à travers quoi nous allions passer.
Dans la matinée, comme prévu, un gars est venu récupérer des objets dont on se sépare pour vider un peu la chambre du Nain et qu'elle ressemble à une chambre de bebe. Quelques secousses encore... mais on a eu parfois du mal à faire la différence entre les secousses réelles et les tremblements de nos corps qui gardent des séquelles. Mathieu est courbaturé et a les pieds en loques après ses quasi 5 heures de marche. Moi aussi je suis physiquement exténuée, pourtant je n'ai pas couru un marathon!
La nuit a été courte et entrecoupée de répliques dont l'une plutot forte qui nous a réveillés. Tant pis, c'est le week end, on boira du cafe en cocoonant au maximum.
Des messages sont diffusés dans les hauts parleurs du quartier. Cette fois, ils sont traduits en anglais. On nous recommande de faire des économies d'électricité. On ne fera donc ni lessive ni vaisselle à la machine aujourd'hui.
J'ai invité des copines pour le gouter, histoire de se changer les idées et de partager nos ressentis. Mais aucune d'entre elles ne préfère venir, ce que je comprends tout à fait. Les trains ne sont pas rétablis et on se sent tous plus en sécurité dans nos quartiers respectifs, voire chez soit.
Mais rester à l'appart par ce beau temps nous est insupportable.
On décide d'aller se promener, comme très souvent à Roppongi Hills, juste derrière chez nous. Il y a toujours de l'animation le week end et ça nous videra la tête (nous avons surtout un grand besoin de descotcher d'Internet car depuis la veille au soir, nous sommes rivés aux infos de la BBC, NHK, France TV, site de l'Ambassade, le monde.fr...) Aucun recul n'est possible par rapport à toutes ces dépêches. On a le nez dans l'actu. Difficile de rester calme et lucide. Seules les images sont parlantes. Et quelles images... régulièrement, je craque.. La fatigue, le stress, l'incertitde, le contrecoup (que je crois), mais pas encore d'inquiétude réelle...
Roppongi Hills donc. Etrangement calme. Il n'y a personne! Ca n'arrive jamais. Les magasins (de la Mori Tower pour ceux qui connaissent) sont fermés!! ca non plus, jamais vu, même un 1er Janvier! Pas d'animation, peu de monde dans les rues. Glauque. Et partout, les gens que l'on croise ont l'air serein. Je constate tout de même que les regards se croisent un peu plus qu'à l'accoutumé. En principe, on ne croise pas le regard d'un Japonais.
On s'installe dans le seul cafe ouvert pour un chocolat chaud. Histoire de penser à autre chose? oui, l'idée y est, mais notre premier geste est de checker mails, facebook et site de l'Ambassade sur nos Iphones... Je reçois un texto de mon amie Jenifer, il y a eu une explosion à la centrale de Fukushima. Il nous faut rentrer à la maison, heureusement pas loin.
On réfléchit rapidemment. On fait le bilan des conséquences éventuelles et de ce qu'il nous faut éventuellement faire ou préparer. Je rentre à la maison avec Eliot, Mathieu file acheter un briquet pour les bougies, du riz et quelques bricoles. En effet, un risque de blackout est annoncé pour 18h sur Tokyo.
J'ai un peu mal au bide à l'idée d'être encore séparée de Mathieu, même pour un quart d'heure, mais on a pas le choix, je suis physiquement pas en état de l'accompagner.
Des que je franchis la porte de notre maison, je colle Eliot devant un dvd et je prépare riz et pates (tant qu'on a de l'électricité), tout en changeant l'eau de la baignoire. Automatisme? Reflex? je ne sais pas. Etrangement, mon corps répond à ce que je lui demande, alors que cela fait des semaines que les douleurs de fin de grossesse me privent de toute énergie après 18h. Là, plus de sciatique, plus de mal au dos ni au bassin, plus de contraction non plus... le corps est étrangement fait...
Mais au moment de nous coucher, la trouille se pointe. Ok, tremblement de terre, on a plutôt bien géré le truc. Ok, tsunami, on est super loin, on ne risque rien et on s'est préservé en évitant les images atroces de dévastation (on verra plus tard). Mais la fatigue et la nuit qui tombe rendent nos esprits un peu moins lucides, et le risque nucléaire change totalement la donne.
Mon esprit a beau essayer d'être raisonnable et posé, mon corps ne répond plus du tout et tremble tremble tremble... impossible de m'arrêter. J'ai froid, je grelotte. On ne met pas de chauffage car il est recommandé de ne pas utiliser les ventilations. Je crois que j'ai vraiment peur. Pour nous, pour le bebe, qui doit ressentir ce que je vis. C'est terriblement culpabilisant. Je voudrais être plus forte et maitriser mon corps, mais les nerfs lachent. On ne parle plus de secousse sismique là, mais de risque nucléaire... On est pas préparé pour ça. Le risque et le danger ne se voient pas, ne se ressentent pas, ne se palpent pas. On peut uniquement l'imaginer, et avec la fatigue, le noir de la nuit et le froid de l'appartement, l'imagination prend le pas sur la raison.
Dans la soirée, nous recevons un coup de fil d'un supérieur hiérarchique de Mathieu (je l'appelerai Mr S.). Il nous explique que la boite envisage un éventuel rapatriement des familles dans un premier temps (familles = femmes et enfants) si on veut. On précise tout de même le "detail" du moment : je suis juste enceinte de 8 mois et monter dans un avion risque d'être impossible (au delà de 7 mois, les compagnies ne prennent pas cette responsabilité). Il prend note. Mais de toute façon, à ce moment là, pour nous, il n'est absolument pas question de partir. Nous n'y avons même pas penser. Et d'ailleurs, jusqu'au bout, nous n'avons pas envisagé le départ. Notre vie est à Tokyo, le Japon notre pays d'adoption, tout est en place pour la naissance, nous ne sommes pas dans un pays en guerre, alors pourquoi fuir?
Nous apprécions vraiment la démarche et la proposition de la boite. On a le sentiment de ne pas être seuls, ni abandonnés face à une situation et des événements qu'on a encore bien du mal à appréhender.
L'endormissement est compliqué, mais finalement, on dort un peu mieux et un peu plus longtemps que la veille. Pas de réplique sismique ressentie. Mon corps a fini par se calmer, Eliot ronfle tout apaisé dans sa chambre. On se dit que demain est un autre jour, il nous faut reprendre un peu de forces, et à la lumière du dimanche, nos esprits y verront plus clair...
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