mercredi 16 mars 2011

Mon 11 Mars

J'ai eu envie/besoin de poser des mots sur ma journée du 11 Mars 2011... pas pour faire pleurer dans les chaumières, surtout pour évacuer et me souvenir...
Vous n'êtes pas obligés de lire, c'est long, il y a eu tellement de choses et d'émotions...

C'est une journée particulière. La crèche d'Eliot est fermée, comme tous les ans à la même époque, pour une journée consacrée à la "Graduation Ceremony". C'est en effet la fin de l'année scolaire au Japon et comme c'est une crèche qui fait aussi "preschool", une journée sert de transition entre les grades.
Eliot doit donc rester avec moi... Comme j'ai un peu peur que la journée soit longue (plus de force pour l'emmener seule au tobbogan car je dois me trainer de plus en plus), j'ai organisé 2 petites "acclimatations"chez les copines susceptibles de reccueillir notre petit loulou pour quand il me faudra aller à la maternité. Un petit café chez l'une le matin, un gouter chez l'autre l'après-midi, il fait un soleil magnifique, ce qui donne une idée de l'arrivée prochaine de la saison des sakuras.
La matinée se déroule comme prévu. Nous déjeunons même avec Agnès et Arthur dans un petit resto coréen avant de rentrer à la maison.
Eliot joujoute un peu et vers 14h accepte de s'endormir dans notre lit pour la sieste.

14h46 : je me souviendrai longtemps de ce que j'étais en train de faire... Sur l'ordi, je choisissais un doudou pour le nain et m'apprêtais à valider ma commande. Un truc de femme enceinte de 8 mois, en pleine nidification quoi!
Soudain, ça commence à trembler. Pas plus fort que "d'habitude"... au début... Puis c'est la durée de la secousse qui est inhabituelle. Elle monte un peu en intensité, l'écran bouge un peu. Je ne prends pas le temps de réfléchir, ce qu'il y a à faire dans ces cas là,  je l'ai déjà suffisamment réfléchi pour pouvoir le mettre en pratique automatiquement. Je prends donc Eliot dans mes bras (doucement, pas envie de hurlement...), je l'emmène dans l'entrée de notre appart, ouvre la porte, lui colle son casque de vélo sur la tête et m'assoie avec lui dans les bras dans l'encadrement. Pourquoi là? les chambranles sont souvent les dernières à tomber, la porte d'entrée est en métal et donc plus solide que nos autres portes en bois ou en verre, porte ouverte pour ne pas risquer d'être coincée à l'intérieur.
Le temps passe. Ca ne se calme pas. Je n'ai jamais connu quelque chose de si long en 1 an et demi au Japon. J'attends, je murmure des choses rassurantes à Eliot qui somnole. En même temps, la notion du temps est assez floue. J'ai l'impression que c'est long car j'attends la fin de la secousse, mais je n'aurais jamais su dire combien de temps elle a duré. J'entends quelques bruits de chutes dans la maison, des bibelots pas de meuble, le porte manteau de l'entrée tangue un peu mais aucune vraie grosse chute n'est à constater. C'est le building entier qui oscille. Au bout d'un temps que je ne saurais déterminer, c'est fini, j'attends encore un peu et me relève (comme je peux... kgs en trop, émotions mélangées,...), j'explique à Eliot que tout est fini, que tout va bien, Maman est là et je retourne le coucher dans notre chambre. Sang froid, maitrise, je suis plutôt calme en fait. Pendant ces longs instants, concentrée sur le moment présent, je me rends compte que par rapport à ce que je voulais faire, j'ai oublié 2 choses : mon téléphone est resté près de l'ordinateur dans la chambre et je n'ai pas rempi la baignoire d'eau (ce qui est recommandé car en cas de catastrophe, cela permet d'avoir une réserve d'eau potable à la maison).

Je fais un tour dans la maison. Aucune casse, 3 bibelots sont renversés, un cadre posé s'est couché. Rien à signaler. Méthodiquement et mentalement, je prends note des "défauts" de l'agencement de notre appart et de ma réaction "pour plus tard"...

Mon portable ne fonctionne plus, mais Mathieu m'appelle sur le fixe. Tout va bien pour lui, il m'apprend qu'il n'y a plus de train donc qu'il ne peut me dire à quelle heure il rentrera. Surement tard. Ok. On gère, tout va bien, je suis avec le petit, situation sous contrôle, on s'aime. On raccroche car ça recommene à trembler...

C'est la deuxième secousse. Même scénario, donc mêmes réactions mais cette fois, j'ouvre le robinet de la baignoire et je prends mon téléphone. Le casque d'Eliot est resté sorti dans l'entrée. Là encore, c'est long mais impossible de dire de combien. Eliot ne somnole plus du tout. Il est tout calme, ouvre de grands yeux. Je comprends bien que sa sieste se terminera là. Une petite heure au lieu des 2 habituelles, on se couchera plus tôt ce soir! La secousse est terminée, on se relève. C'est fini.

Eliot joujoute dans le salon, un grand silence entoure notre appartement. Les rues me semblent également plus silencieuses qu'à l'habitude. Je recommence à penser spontanément, je sors du mode automatique. Dehors, des hauts parleurs diffusent un message que je ne comprends pas. Je jette un oeil par la fenêtre, il y a des gens dans les rues, certains semblent s'être rassemblés à certains points (de rassemblement?). Comme je ne me sens pas du tout de rester seule dans cet appart (je ressens d'un coup ce silence et cet isolement comme des facteurs angoissants) - il est à préciser que dans notre building, seuls 2 appartements sur 5 sont occupés et que les voisins sont absents depuis quelques jours. Je suis donc absolument seule avec le petit, nous n'avons pas de gardien - , je décide de sortir et d'aller à la rencontre des gens du quartier. Je pense notamment à ma super copine américaine qui habite à 5 minutes à pieds.

J'habille tout le monde, Eliot gardera son casque pour "aller se promener et regarder les hélicoptères, tu vas voir, c'est rigolo"... (rassurer, rester calme, faire bonne figure, surtout, ne pas l'entrainer dans mon angoisse qui est latente). Je le porte dans l'escalier, pas question de prendre l'ascenseur.

Nous voilà dans la rue, Eliot est tout mignon, tout calme et sage, mais sa main serre très fort la mienne. Pour moi, boule dans la gorge malgré le sang-froid apparent.... Je croise quelques Japonais, dont le visage impassible ne donne aucun indice sur la gravité ou non de ce qui vient de se passer. Pas pratique pour moi qui ne sais pas trop de quel coté orienter mon sentiment, légèreté ou sérieux.

Je retrouve enfin Kristin. Comme moi, elle est dans la rue avec ses 2 petits et quelques voisines. Leurs enfants font du tricycle, les mères échangent leur ressenti... Je tombe dans les bras de ma copine et chouine un peu. Les hormones surement, la peur aussi, je suis quand même super enceinte, j'ai besoin de lâcher un peu la pression et je suis frustrée de ne pas pouvoir réagir aussi vivement ou porter Eliot pour le mettre en sécurité rapidement. Appréhension de ne pas pouvoir réagir comme il faut à cause du mal de dos qui me ronge depuis des mois, des contractions qui sont là depuis quelques temps...Crainte à posteriori de ne pas être suffisamment forte pour courir avec mon loulou sous le bras...
On rentre chez Kristin, Eliot ne lache pas ma main, même pour jouer avec les voitures de Joseph. La terre recommence à trembler. Moins longtemps et moins fort, on le remarque surtout aux liquides dans les verres ou au bib de lait qui traine sur la table... Je me sens mieux. Je sens que Kristin aussi apprécie de ne pas être seule avec ses 2 petits.
On papote. Elle checke un peu Internet. La menace du tsunami est déjà réelle, mais je crois qu'on ne se rend pas compte.
Nos portables ne passent pas, impossible d'avoir des nouvelles de nos maris ou de nos amies, pour nous à cet instant, c'est la princiale préoccupation. Sans portable, impossible de téléphoner certes, mais pour moi, impossible aussi de recevoir mails, messages, etc... et en plus, Eliot me scotche vraiment donc je ne peux même pas accéder à Internet.
Je commence à me sentir mal à l'aise déconnectée du monde et à me dire qu'il faut que je donne des nouvelles et que je cherche à en avoir... et puis ça me revient que j'ai laissé le robinet de la baignoire ouvert, ça doit faire une heure! Alors, ok avec les salles de bain à la japonaise on ne craint pas l'innondation mais tout de même!

On décide d'aller chez nous tous ensemble car franchement, on est pas super motivées à l'idee d'attendre nos maris respectifs toutes seules... Kristin et les enfants restent une petite heure à la maison histoire de décompresser et d'être bien sures d'être réconfortées. Tout va bien. Nous sommes apaisées, il nous semble que le danger est passé.

Je donne des news sur le blog, heureusement que nous avons électricité et Internet! Je me sens moins seule et surtout plus coupée du monde. Je skype les copines, de Tokyo et d'ailleurs, peu à peu on échange, on se rassure, on n'est pas dans la panique, même si toutes, nous attendons avec impatience le retour de nos petits maris, histoire d'être tous réunis au complet et soulagés. Nous pensons que c'est vendredi, que le we sera paisible et surtout le bienvenu pour nous remettre de nos émotions.
Je n'ai encore vu aucune image du tremblement de terre. Encore moins du tunami qui a suivi. Eliot me scotche et veut absolument regarder ses dessins animés sur l'ordinateur (nous n'avons pas de télé et de toute façon, après une telle après-midi, nous restons dans la même pièce, ce n'est pas négociable!). Et puis, je ne veux pas qu'il ait accès à des images que moi-même je n'ai pas envie de voir et que je redoute déjà de découvrir... c'est décidé, j'attendrai qu'il soit couché ou que Mathieu soit rentré...

21h : Nous sommes enfin arrivés au 4e livre du soir, synonyme de dodo imminent pour Eliot. Malgré la courte sieste, il ne s'est pas couché plus tôt! Et puis, j'entends la porte d'entrée s'ouvrir... quel bonheur! quel soulagement!! Mathieu est rentré! apres un trajet interminable pour lequel je savais uniquement qu'il avait quitté le bureau à pied à 16h15, nous sommes enfin tous réunis, ensemble sous le même toit...
La soirée peut commencer, nos familles et amis sont rassurés, nous n'avons aucune idée de l'ampleur du désastre, et n'imaginons pas du tout que les jours suivants vont être bien pires à gérer psychologiquement.

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