jeudi 24 mars 2011

Dernier jour à Tokyo - Lundi 14 Mars

Des 6h30, nous sommes levés et prêts pour notre longue et dernière journée sur Tokyo.
On essaie de faire fi de la fatigue et de la tristesse, on déroule notre "plan d'action", établi la veille en même temps que nos bagages.
Cette matinée, cela me fend le coeur évidemment, mais nous allons devoir la passer séparément.
Eliot reste avec moi évidemment, mais Mathieu doit passer au bureau pour discuter et finaliser notre départ (bon, pas les bureaux de Mizonokuchi à 5 heures de marche, mais ceux de Ryogoku, accessibles en taxi car les transports sont encore très perturbés et peu fiables). Pour ne pas devenir folle et tourner en rond dans l'appart, on a décidé que j'irai chercher du cash au distributeur et quelques bricoles de survie au combini.

La veille au soir, j'ai appelé mon médecin-accoucheur pour lui préciser que j'aurai peut-être besoin d'un papier afin de prendre l'avion car nous envisageons de quitter Tokyo, nous ne savons pas encore par quel moyen (avion, train, Osaka, plus loin?). Il m'a rassurée et affirmé que pour les vols intérieurs, nul besoin de certificat, mais que je pouvais appeler la clinic ou il travaille le lundi pour prendre rdv et passer dans la matinée chercher ce papier si besoin (sachant que moi, j'ai l'habitude de le voir dans sa propre clinic, donc là, je ne suis pas connue... j'y reviendrai...).
On a décidé avec Mathieu qu'on s'appellerai à chaque étape de l'évolution de notre matinée...genre "je suis dans le taxi", "j'arrive au bureau"... ca me rassure et comme ca, je vois l'évolution des choses...

Eliot regarde son fichu Tchoupi, je reçois un SMS de Mathieu "va chercher du fric". Ok, je me pose même pas de question, je ne cherche pas à savoir! j'imagine une file d'attente, une pénurie de cash dans les banques... du coup, ni une ni deux, j'empoigne Eliot qui n'est pas hyper d'accord (...), je l'habille devant ses cartoons, je le fous dans la poussette et à 8h, on est dans les rues d'Azabu Juban, en route pour le distributeur. En fait, il n'y a pas un chat dans les rues, je me suis fait un film, mais au moins, on a du cash. Je passe au combini, j'achète quelques onigiri au cas ou... il n'y a plus d'eau minérale dans les rayons. En chemin, Mathieu me rappelle : sa boite nous a booke 3 places pour Paris dans le vol direct qui part à 1h30 dans la nuit de Haneda (l'aéroport qui est plus proche de chez nous que Narita). Mais, il me faut voir mon médecin avant... Je discute quelques instants avec Mr S (notre "messie"!), le remercie pour tout le mal qu'il se donne depuis 48h pour notre cas, qui est quand même, j'en ai bien conscience, un casse-tête. Il me rassure et m'assure que leur priorité est une évacuation vers la France et un endroit safe pour un accouchement éventuel car imminent. Ils ne veulent pas me laisser partir sans l'assurance de trouver un hôpital au bout du voyage. Je trouve que c'est vraiment honnête, mais il me faut ce papier...

Bon, mon nouvel objectif est donc ce fichu certificat.... Je n'ai pas le numéro de la Tokyo Clinic. J'appelle donc ma copine Kristin, qui elle voyait notre médecin la bas. Elle m'envoie les coordonnées... bon, mais à 8h, c'est encore un peu tôt... ça ouvre a 9h30... Je rentre donc à la maison, déjà bien fatiguée physiquement par la courte nuit, les émotions, l'enchainement des événements de la matinée... à peine entamée!

J'ai la très grande et très agréable surprise de découvrir notre helper qui est tout de même venue travailler... la veille, je lui avais envoyé un message lui disant que si elle ne le sentait pas, elle pouvait très bien ne pas venir... je n'avais pas reçu sa reponse... et elle est là! rapidemment, je lui explique la situation : aujourd'hui, pas de ménage ni de repassage, j'ai besoin d'elle pour "gérer" Eliot car il commence à ressentir mon stress et me scotche tellement que je ne peux même pas passer un coup de fil, et puis physiquement, je me sens vraiment incapable... on prend un cafe, je paufine les bagages car désormais je me dis qu'on prends un avion, donc ça implique quelques petites modifs... et j'ai besoin d'occuper mon cerveau et mes mains...
Vers 9h15, j'arrive à joindre la Tokyo Clinic. Je demande un rdv en urgence, je précise que c'est le médecin qui m'a dit d'appeler... Elle vont transmetre car il ne viendra surement pas aujourd'hui... J'appelle mon medecin sur son portable... répondeur!! cela n'arrive jamais... au bout d'un temps interminable, sa messagerie renvoie vers... la Tokyo Clinic! Devant mon insistance, la fille me précise que le médecin a annulé tous ces rdv de la journée, car "la situation a évolué depuis hier soir". Je commence vraiment à paniquer, Eliot hurle dans les bras de Susan qui l'emporte à l'autre bout de l'appart, histoire que je puisse entendre mon interlocutrice... ambiance...
Je ne perds pas complètement espoir et appelle ma propre clinic qui n'ouvre qu'à 10h en principe...Je tombe enfin sur quelqu'un vers 9h40... réitère ma demande "URGENTE!!!!!" j'obtiens un rdv à 10h45, avec un autre médecin car le mien ne viendra pas (mais il est OU????)
Je suis soulagée. Susan est adorable, elle viendra donc avec moi en taxi. Eliot s'est apaisé, moi pas tellement, mais au moins, je suis sure de pouvoir être examinée et rassurée avant de monter dans cet avion.

J'appelle Mathieu pour qu'il me rejoigne à la clinic car il est parti le matin avec mon petit livre bleu, suivi de ma grossesse, dont sa boite avait besoin pour organiser notre départ.

On se retrouve là-bas... je patiente une demie-heure dans la salle d'attente... je ne suis apparemment pas la seule "gaijin" à attendre pour un certificat, 2 autres filles moins enceintes sont dans le même cas. Elles ne sont pas françaises, donc nous ne sommes pas la seule nationalité à appliquer le principe de précaution...
La secrétaire vient enfin me chercher. Elle me tend mon certificat et ma facture. 2,600 yens. Ok. Je paie, je prends le papier, je me casse.
Je ne me suis même pas déshabillée, je n'ai vu aucun médecin. M'en fous, j'ai mon papier, je monterai dans ce fichu avion!

On rentre tous à la maison.
Susan s'occupe de ranger un peu (je sens qu'elle a besoin de s'occuper l'esprit et les mains, je la laisse faire, je suis un peu dans le même état de fébrilité). Mathieu prépare à manger... A 13h, je dis au revoir à Susan, les larmes aux yeux, elle a vraiment été dévouée jusqu'au bout. On ne sait pas quand on se reverra, elle me promet d'aller sur Osaka des que possible, de toute facon tous ses employeurs sont partis. Elle a sur elle son petit sac "de survie" pour partir à tout moment... émotions... encore... je ne compte même plus le nombre de fois que j'ai pleuré depuis ces dernières 72h...

Il est 14h quand nous décidons de quitter notre chez nous. Ok, l'avion est dans quasi 12h, mais c'est insupportable de rester là. On a fait le tour de toutes les pièces, fermé les rideaux, mis à l'abri les choses fragiles (écran, ordinateur...), coupé l'eau, le gaz, l'électricité... C'est la première fois que nous quittons Tokyo pour autre chose que des vacances, pour un temps complètement indéterminé et surtout sans être sur de l'état dans lequel nous retrouverons notre chez nous... Là encore, heureusement que nous sommes 2. J'ai l'impression de former une chouette équipe avec Mathieu. Aucune visibilité sur l'avenir, à courte ou moyenne échéance, mais on fait bloc, à presque 4, on ne se quitte plus, c'est ce qui est le plus important à mes yeux. Il sera là si je craque, et en même temps, je me sens prête à accoucher n'importe ou pourvu qu'on soit ensemble.

1 valise, 1 gros sac à doc, 2 sacs à main, 1 petit sac à dos, 1 sac de joujoux (qu'Eliot refuse de porter évidemment) et 1 poussette... taxi... l'aéroport n'est qu'à 30 minutes à peine... le temps de longer la Tokyo Tower (quand la reverra-t-on?), des quartiers de buildings... je ne peux m'empêcher d'être émue et aussi impressionnée par la résistance de tous ces bâtiments. Sans les infos et les images en tête, il est impossible de voir une quelconque trace de ce que vit le Japon à ce moment là.

Nous arrivons à l'aéroport. Bien sur l'attente sera interminable, mais j'aurai le temps de faire une bise à une amie qui embarque à 16h30... nous devions nous voir ce fameux vendredi 11 après midi pour "l'acclimatation" d'Eliot... cela me semble il y a une éternité... petit moment tout précieux... bon voyage ma belle!

Vers 16h30, nous procédons à l'enregistrement... le plus tôt ce sera fait, le plus tôt je serai rassurée sur mon embarquement, car "c'est le pilote qui aura le dernier mot" m'avait dit Mr S. Alors bien sur, le stress n'est pas du tout retombé! jusqu'au bout, je serai dans l'interrogation...
Nous passons une vingtaine de minutes à l'enregistrement... je montre mon papier (mais j'ai l'impression que nous étions attendus...), j'explique que j'ai vu mon médecin le matin même, qu'il a tout vérifié (c'est ça oui!) et que je peux voyager, le bebe n'est pas près de sortir (ce qu'on ferait pas pour embarquer!). Tout cela très posément, très zen, alors que je ne vous raconte même pas comment je suis à l'intérieur!! en plus, il fait une chaleur à crever dans cet aéroport!!!
La fille prend mon papier, part faire des photocopies ("oui oui, je vous en prie!). Elle nous dit d'attendre dans un coin... et revient avec les boarding pass!!! le Saint Graal!!! je recommence à respirer presque normalement!
Yapluka... attendre...

J'organise donc notre arrivée en France... accueil à l'aéroport, accouchement à Calais... j'explose surement mon forfait Iphone, mais là, c'est vraiment un cas de force majeure!
On décide d'aller au lounge, histoire de manger et aussi d'attendre un peu plus au calme... bon, pour entrer dans le lounge, on me redemande le certificat!! oui, alors, bon, faut pas pousser là! j'ai déjà mon boarding pass!! et non, ce ne sont pas des jumeaux!! (mais elle est débile ou quoi??) bref, je reste zen.... je ferai des grands sourires jusqu'au bout, genre "je suis super en forme" alors qu'il y a 4 jours j'en menais pas large!

On mange un peu, on essaie de se détendre (pas facile avec tous ces gosses dans le lounge! je pense que les hôtesses japonaises n'ont jamais vu un tel souk! elles essaient bien de mettre un peu de calme mais en vain). Eliot n'a fait qu'une sieste de 10 minutes dans le taxi, c'est pas le plus sage, on se relaie pour l'occuper et le ballader... il ne se rendormira que dans l'avion!
Juste avant d'embarquer, on me redemande mon certificat... p.!! il est 1h du mat', on a pas dormi depuis des jours, j'ai mon boarding pass (je suis même entrée au lounge!!), mais qu'est-ce qu'elles me veulent encore???? oui, bien sur, vous pouvez faire des photocopies si ça vous chante... pour une fois, c'est Mathieu qui manque de s'énerver, et moi qui reste zen! je vous assure que je suis prête à tout pour monter dans ce truc!!
On laisse entrer tout le monde... alors, non, être enceinte de 8 mois ne permet pas d'être prioritaire! mais on s'en fout, on embarque (enfin!), l'avion décolle...

Vers la sécurité.

Je garde cela en tête car penser à ce qu'on laisse m'est insupportable. Je sais qu'il va me falloir du temps pour faire le deuil de mon projet de naissance à Tokyo, préparé pendant des mois, pour accepter l'idée que notre "choix" a été le meilleur pour tout le monde...
Evidemment, retrospectivement, c'est une évidence... mais sur le coup, pas du tout. Je mettrai plusieurs jours à arrêter d'être submergée par le chagrin à chaque fois que j'y penserai.
Il me faudra la lueur de l'évolution des événements, discuter avec nos amis, qui tous ont quitté le Japon avec ce sentiment de fuir, l'envie de revenir au plus vite, mais en faisant le choix raisonnable d'attendre que la situation soit stabilisée et sécurisée pour tous et à tous les points de vue.

Dans l'avion, seul Eliot dort... Mathieu fait semblant. Moi, je me lève sans arrêt, comme si l'avion allait avancer plus vite! j'écris déjà un peu pour ce blog car je sais qu'il faudra évacuer le trop plein d'images, d'événements, de stress, d'angoisses et d'émotions. Ca tombe bien, tous les Japonais roupillent, l'avion est plongé dans l'obscurité, personne ne voit que je suis en larmes.

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