lundi 21 mars 2011

La suite - Dimanche 13 Mars

5h30, nous sommes déjà debout. A l'affut des news évidemment. Un mail est arrivé pendant la nuit. La boite de Mathieu envisage de nous déplacer vers le Sud du Japon. Osaka ou Kobe, qui disposent d'aéroports internationaux. Mais pour moi, un départ de Tokyo est inenvisageable. Ma vie est ici, tout est prêt pour l'arrivée du Nain, l'hôpital est à 10 minutes, mon médecin joignable 24/24, les copines dispo pour garder Eliot... sans parler de la chambre du bebe qui est quasi prête et de toutes les petites affaires de nain que je prépare depuis des semaines... Je ne me vois en aucune manière quitter Tokyo, mon chez moi et Mathieu pour me mettre à l'abri d'un danger qui n'est ni réel ni avéré. L'Ambassade n'est pas alarmiste.

Au bout d'une heure de discussion et de larmes pour moi, Mathieu réussit à me convaincre que c'est la meilleure solution pour les enfants et pour moi. Mais je suis désespérée à l'idee de le laisser retourner au boulot le lendemain (il n'est pas encore question qu'il m'accompagne).

Nous essayons de passer un dimanche "as usual".
Mais la baignoire toujours remplie d'eau et la boule dans le ventre nous rappellent que nous ne sommes pas un dimanche ordinaire. Des coups de fil de Mr S changent encore la donne dans la matinée. Ils envisagent toutes les possibilités, leur priorité semble être de nous faire quitter Tokyo voire le Japon, tout en nous garantissant un hôpital avec médecin anglophone (ce qui demande évidemment plus d'investigations et une coordination serrée avec notre assurance privée). Nous proposons Shanghai, HK ou Singapore ou nous avons la possibilité d'avoir un pied à terre "ami". Ils excluent la Chine (il faut un visa), évoquent aussi Singapore, la Corée ou la Thailande... Ca me donne des frissons mais peu a peu, l'idée de quitter Tokyo, voire le Japon devient acceptable. D'autant qu'au fur et à mesure de la journée, on voit bien que les transports ne seront pas rétablis le lendemain. Pas question donc pour Mathieu de faire 5 heures de marche aller et retour... et dans l'esprit de Mr S, nous sommes désormais un "package" de 3 personnes (et un futur bebe).

Je prends des nouvelles des copines. Certaines sont déjà parties (dans le Sud du Japon surtout), d'autres y pensent. D'autres encore sont comme nous, partagées entre le départ qui nous apparait comme une fuite, mais relève aussi du raisonnable, et rester chez nous car nous sommes tout de même à l'abri. Je respecte totalement les décisions des unes et des autres. Nous n'avons absolument pas vécu les secousses du vendredi de la même manière. Les entreprises de nos petits maris ne gèrent pas non plus la situation de la même manière. Selon l'âge des enfants aussi, le degré de bien-être au Japon, les projets d'avenir, les ressentis sont différents... Je ressens surtout une énorme compassion et une réelle solidarité entre nous (communauté française, copines, amies, collègues) qui nous permet de nous sentir moins seuls (Mathieu et moi) dans nos réflexions, moins seuls par rapport à tous ces sentiments qui se mélangent. Nous faisons face, avec évidemment des moments ou l'on craque et des moments ou le sang froid prédomine.

D'heure en heure, la situation évolue. L'Ambassade ne préconise toujours pas de départ du Japon. On a le sentiment (rassurant) que les choses sont sous contrôle et que les entreprises appliquent le principe de précaution et organisent des déplacements (on ne parle toujours pas d'évacuation) vers le Sud du Japon à titre preventif et surtout j'imagine pour anticiper une évacuation dans l'urgence.

Les répliques sismiques ne nous laissent pourtant pas beaucoup de repis. Je me sens incapable, physiquement et nerveusement, de faire face à une nouvelle secousse de type celle de vendredi. Je suis lasse de ces secousses, que finalement nous ne ressentons pas de la même manière Mathieu et moi. Parfois il la ressent et moi non, et inversement. Elles ont des amplitudes minimes par rapport à celles de vendredi.
Nous parvenons à epargner au maximum Eliot qui ne ressent pas notre stress (mais je crois qu'il n'aura jamais regardé autant de dessins animes! tant pis).

Notre véritable angoisse vient de cette foutue centrale bien sur. Et LA question qui sera notre déclic, c'est de savoir comment elle pourrait résister, alors qu'elle est déjà endommagée, à ces répliques sismiques. Nul ne peut le dire évidemment, et il suffit d'une réplique un peu plus forte... C'est cette question, lancinante et à laquelle nous n'avons pas de réponse, qui va petit a petit nous faire penser sérieusement à partir.

Dans l'apres-midi, nous allons au parc pour nous changer les idées, et Eliot s'amuse comme un petit fou sur les toboggans. J'entame une discussion avec une fille... roumaine apparemment. Elle me parait complètement stressée. Elle me parle d'un nouveau risque sismique dont son mari a entendu parler à la télé japonaise. Il est d'ailleurs au téléphone, hyper tendu. Je ne l'entends pas. Je ne la crois pas. Je me veux rassurante. J'essaie de la rassurer...
Mais de retour à la maison, nouvelle alerte en provenance d'un réacteur (je ne sais plus lequel, je crois que je n'y accorde aucune importance). Cette fois, l'Ambassade monte d'un cran dans ses recommandations. On n'est toujours pas dans la panique, mais elle suggère aux ressortissants français qui n'ont pas d'impératifs sur Tokyo, de s'éloigner quelques temps vers le Sud. Et elle confirme ce que me disait cette fille que j'ai pris pour une parano : les spécialistes annoncent 70% de risque d'une réplique de magnitude 7 dans les 3 jours. Ce risque passe à 50% pour les 2 jours suivants... Ok, amplitude plus faible que la secousse de vendredi (que nous avons ressentie à la magnitude 5 à Tokyo), mais l'épicentre se situerait plus proche de Tokyo.
Pour nous, pour moi, c'est un déclic. Je ne veux plus rester à Tokyo. L'idée a (enfin?) fait son chemin dans ma tête, je n'accoucherai pas à Tokyo, le Nain ne naitra pas ici, mais pour la sécurité de tous, il faut accepter cette situation. Je me fais à l'idée d'accoucher à Osaka. C'est une grande ville, il y a des hôpitaux, accoucher même sans médecin anglopghone (et sans péridurale!) ne me fait même plus peur... la principale angoisse une semaine auparavant était "et si je dois emmener Eliot à l'hopital avec moi?". Je suis maintenant à mille lieues de ces préoccupations... désormais, je veux juste me sentir en sécurité et auprès de ma petite famille pour accueillir ce petit bebe... peu m'importe Osaka, HK ou Singapore, être loin de Tokyo est devenu mon leitmotiv.

C'est la fin de la journée, je n'ai plus qu'une idée en tête : faire une valise, me préparer au depart, ce sera notre dernière nuit à Tokyo.
Eliot est couché, nous préparons donc un sac et une valise. Pour ou? pour combien de temps? impossible d'en être sur, alors nous faisons au plus logique : 5 jours de vêtements pour Eliot, Mathieu et moi, et les petits habits du nain accumulés et préparés depuis des semaines... pas facile de faire une sélection, pas facile de ne pas se laisser submerger par les émotions lorsqu'il faut laisser les choses...
On prend le disque dur avec toutes nos photos... ma bague de mariage... les cartes bancaires... le livret de famille... les carnets de santé... nos passeports (même si la probabilité que je puisse monter dans un avion est très faible).
On oublie des trucs, forcement, mais on paré vraiment au plus pressé.

Ne pas se dire que je ne reviendrai pas de si tôt... c'est vraiment trop difficile. On reviendra forcement a 4... oui, mais quand? et est-ce que notre appartement sera encore dans cet état?
La fatigue, le stress, l'angoisse, et encore une fois le fait que ce soit la nuit nous privent d'une certaine lucidité.
Pourtant, vers minuit et demi, nos bagages sont prêts. On se couche, dans l'espoir que la nuit nous apaisera un peu...
On est réveillé à 1h30 par le coup de fil d'un collègue de Mathieu. Affolé. Je ne peux pas le blâmer non plus. Nous avons nous cette chance d'être 2, de former un bloc, lorsque l'un flanche, l'autre est présent et trouve des mots qui apaisent. Lui ets seul et donc pas très lucide après ces jours et ces nuits sans sommeil...
Finalement, Mathieu se rendort... Moi, je vois défiler les heures... vers 4h, je vais me faire un lait chaud dans le salon... évidemment, je pleure un peu car je vais laisser mon chez moi... Je sais que c'est pas bon de faire le tour des pièces et de jeter un oeil à ce que je laisse, mais je le fais quand même... Quand reviendra-t-on?
Je crois que je me rendors vers 5h... et a 6h30, nous sommes tout 2 éveillés.
Les bagages sont prêts, nous sommes en mode "départ".
Vers ou, on ne sait toujours pas, mais nous sommes au moins d'accord sur le fait que le soir même, nous ne dormirons pas a Tokyo.
Le jour se lève, la journée va être longue. Très longue...

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